Il y a dans la sagesse populaire de mon pays le Sénégal un dicton Ouolof « lou soti am borom » qui signifie que dès qu’un travail est couronné de succès, il y a toujours des imposteurs qui s’en réclament les auteurs, en lieu et place du vrai propriétaire, de celui qui l’a réussi. Bien sûr ils savent qu’ils veulent récolter ce qu’ils n’ont pas semé, ils savent qu’ils mentent, ils savent que ce ne sont pas eux qui ont semé cette graine.

Je ne peux qu’utiliser mes références spirituelles chrétiennes sur cette question, puisque notre Livre Saint exprime la pensée du Créateur « j’ai gravé ma loi dans leur cœur ». Cela pour dire que tout le monde a du bon sens, le sens de la Vérité. Même les plus pervers d’entre nous, les chacals tapis derrière la machine à café dans le couloir de la salle de réunion, même eux entendent la voix intérieure de leur conscience. Ils savent bien que cet épi de maïs dodu et brillant au soleil n’est pas apparu ex nihilo. Il a bien fallu creuser, planter, arroser, surveiller, débroussailler, il a fallu un travail long et acharné pour passer de la graine à l’épi.

Alors le nouveau propriétaire auto-proclamé ne peut utiliser que la félonie, la tricherie, la fourberie et leurs cousines la sournoiserie et l’hypocrisie pour essayer d’accaparer de cet épi de maïs. Et moi-même qui l’ai semé, quelquefois je n’ai que le temps d’en prendre quelques graines au mieux avant que ces vautours voraces fassent main basse sur le butin.

Et ceux qui lisent mon CV ensuite me font presque toujours le même reproche, quelques fois à demi-mots. Je suis probablement inconstant, inconsistant, instable. Pourquoi changer de travail aussi souvent, presque tous les deux ans ? Parce que c’est le temps pour transformer la graine en épis et voir les rapaces affamés s’emmener toutes voiles dehors pour nous dégager manu militari.

Et alors ? pourquoi ne pas défendre son bifteck (exactement la phrase qu’a utilisé un de mes mentors). Il faut bien se battre pour ce qui nous appartient, non ? Donc si je ne suis pas instable et consort, alors au minimum je suis un faible, un lâche ?

Mais pas du tout, parce dans ma vie de tous les jours j’ai plusieurs fois vérifié que je ne manque d’aucun courage. Quelquefois au péril de ma vie elle-même. Je sais, pour l’avoir vécu dans ma chair que je ne manque ni de force ni de courage !

 

Un arsene oudini pour voisin

Mais si je ne manque pas de courage, quelle est l’explication à ce renoncement ? Je vais donner deux exemples, à mon sens, pertinents.

Le premier exemple c’est un film japonais absolument génial qui parle de la fin des Samouraïs. Dans la scène finale, les Samouraïs décident de mourir en guerriers, sur le champ de bataille, plutôt que d’être soumis au nouvel ordre impérial. On voit des guerriers hyper-entrainés, experts dans tous les arts martiaux, des machines de précision se faire tirer comme des lapins à la chasse par un petit groupe de soldats encadrés par des Britanniques, tout simplement parce que ces derniers disposent d’une mitraillette, révolutionnaire à l’époque. Il suffit d’un petit soldat novice et passablement idiot, dont le seul talent est de savoir pointer une arme dans une direction et de tourner une manivelle, pour éradiquer des dizaines de Samouraïs superbes et altiers montés sur des chevaux d’une beauté époustouflante. Ces Samouraïs étaient bien ce qui se faisait de mieux dans l’art de la guerre mais… de la guerre d’AVANT. Cette mitraillette change la donne, et permet à l’idiot de prendre le dessus, lui qui aurait été découpé en charpie sinon.

Le deuxième exemple peut être pris dans la vie courante. Si des cambrioleurs armés réussissent à pénétrer dans ma maison au milieu de la nuit et pointent sur moi leur révolver, que dois-je faire ? Est-il plus sage de leur donner l’argent et les bijoux qu’ils réclament ou de me prendre une balle dans la tête en jouant au héros ? Ce n’est pas par manque de courage qu’on remet aux cambrioleurs ses biens, mais par intelligence. Parce que le révolver qu’il tient en main crée un contexte où la soi-disant témérité a peu à voir avec le Courage et tout à voir avec la Bêtise. Et aussi je sais bien que si le gangster ne m’exécute pas comme de la vulgaire volaille, il va quand même laisser le lit, l’armoire, les meubles etc. Il va prendre les objets de valeur légers et la télé mais il va me laisser plein de choses tout simplement parce qu’il ne peut PAS les emporter. Et donc je sais qu’avec ce qu’il me reste et mon génie créateur, je peux redémarrer… Et je choisis de vivre !

 

Un petit royaume du Danemark en codir

Ces deux exemples montrent que lorsqu’un collègue toxique en entreprise vient faire rapine sur le fruit de mon travail et que je ne le défends pas, c’est parce que souvent il utilise des armes dont je ne dispose pas, tout simplement. Non pas que je ne sache trouver ces armes et les utiliser mais parce que je me l’interdis ! Et que ces armes de brigand sans morale me laissent impuissant à trouver une riposte adéquate.

C’est mon histoire en entreprise et celle de tant d’autres. Peut-être que nous avons tout simplement grandi dans un microcosme familial ou un petit cocon douillet ou un environnement clos où nous n’avons pas eu à sécréter dès l’enfance ces tactiques toxiques qui permettent souvent de survivre en entreprise. Alors nous arrivons comme des fleurs, naïfs et un peu bébêtes, munis de notre talent et de nos compétences comme seules armes, plein d’idées novatrices, de projets, optimistes. Nous essayons d’être « positifs », d’être justes avec tous, d’être utiles à chacun. Nos bonnes intentions sous le bras, l’utopie en bandoulière, nous essayons de mériter notre position, notre salaire, nos avantages. Et bientôt nous nous faisons laminer par les requins aux dents longues, les vampires de l’entreprise, récupérateurs hors pairs du travail du voisin, et qui ne laissent nulle place où leur venin ne passe et repasse pour notre mise à mort lente et douce. Bien entendu, tous les matins, ces vampires me donnent du « mon frère », « mon cher ami » et tous les soirs je me demande combien ils doivent être stupides pour penser que je ne vois pas clair dans leur duplicité…

Vous pourrez lire la suite de cet article dans notre prochaine publication bimensuelle.

 

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Jean-François SENE

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