Aujourd’hui, dans les dites grandes écoles, dans les entreprises et dans toutes les associations ou groupements sociaux, tout le monde est « leader », et tout le monde est « entrepreneur ». C’est devenu une mode, une fashion-culture. Chacun veut être vu, reconnu, chacun veut être non seulement sur la scène, mais au-devant de la scène. Dans la nouvelle société des réseaux sociaux, chacun parle, personne n’écoute. Nous serions tous nés pour devenir des patrons, sinon au moins devenir nos propres patrons. Dans la société des startups, il n’y a pas besoin de chefs hiérarchiques ni de dirigeants éclairés, juste un groupe de copains où tout le monde est « leader », le patron en jogging, l’agent pareil, un vocabulaire de bande-dessinée, un horizon unique d’espèces sonnantes et trébuchantes.

Monter une startup devient l’exercice de monter un ballet composé uniquement de danseuses-étoiles et pour une seule jackpot-saison. Une nouvelle version de l’armée mexicaine pour monter un hold-up boursier et prendre sa retraite à 35 ans. Et comme on sait que la brise précède la pluie, alors (1) on vend du vent et (2) après moi le déluge.

Pour créer plus de « leaders », nous avons accepté d’ubériser le travail, donc de créer des patrons singletons, conceptuellement indépendants mais sauvagement dépendants d’un marché féroce où tout le monde est vendeur de quelque chose, et peu sont acheteurs.

Dans l’enseignement supérieur privé c’est devenu un véritable fond de commerce. On ne vous apprend plus seulement la comptabilité, le droit ou l’ingénierie, on vous apprend à être un LEADER. Dans les entreprises, les résultats seront meilleurs quand on aura formé le maximum de leaders, avec un coach certifié, volubile et dissert, dont les formations ressemblent plus à une grand-messe de l’Église du NASDAQ, avec des prêches enflammés inspirés des 4 nouveaux évangélistes apocryphes que sont Saint GATES (Bill de son prénom), Saint BUFFET (Warren pour les amis), Saint MUSK (Elon pour les intimes) et Saint BEZOS (Jeff dans la vraie vie). Pensez ce que vous faites, dites ce que vous pensez, pensez ce que vous dites, dites ce que vous faites et faites ce que vous voulez… Bref quartier-libre et open-bar, la vie vous appartient, vous pouvez croquer dans la pomme puisqu’il n’y a aucun risque que ce soit elle qui vous mange. Si vos parents ont de quoi payer votre formation ou que votre entreprise a de quoi payer le coach, c’est bien la preuve que vous êtes des leaders, non ?

La formation ne consiste donc pas à vous apprendre à devenir un leader, elle consiste à vous révéler que vous l’étiez déjà sans le savoir, cher M. Jourdain… C’est plutôt sympa, surtout pour le coach, puisque par définition la formation qu’il donne est toujours réussie. Aucun gusse ne sort de ces orgies capitalistiques en pensant « je ne suis vraiment pas un leader », non, ça c’est la Vie qui le lui souffle à l’oreille 20 ans plus tard… pour la plupart. Et pour les autres ? existe-t-il une formation de leadership, c’est-à-dire un chemin déterministe pour le devenir ? il est strictement impossible de répondre à cette question sans consensus sur ce qu’est un leader en entreprise (déjà).

 

Direction, force, vitesse

En dehors des autres définitions marginales qu’il donne, le Grand Larousse définit le leader comme :

« La personne qui, à l’intérieur d’un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement »

 Il y a trois idées fortes dans la définition : prendre des initiatives, mener les autres et commander. Je les interprète dans la dialectique même du réel et du quotidien puisqu’à tout moment dans l’évolution d’un groupe :

  • Entre une quasi-infinité de possibilités, il faut en choisir une et c’est cela qui constitue l’INITIATIVE. On ne peut pas initier l’impossible car « nul ne peut prendre neuf femmes pour enfanter en un mois ». L’initiative c’est de choisir une voie réaliste ou du moins réalisable, parmi tant d’autres, parmi toutes les autres. A partir d’un temps présent, l’initiative c’est donc simplement de choisir la DIRECTION dans laquelle évoluer
  • Dans l’idée même de MENER un groupe, on comprend la nécessité d’un mouvement. Or le mouvement n’existe pas sans Energie, sans puissance initiale, car le mouvement est la conséquence de l’application d’une FORCE
  • Et l’imaginaire trivial pour un Commandeur c’est bien un Commandant devant ses troupes qui défilent et qui comme un Chef d’Orchestre imprime d’abord la cadence, donc le rythme et donc la VITESSE d’exécution.

 

Je traduis donc le leadership selon le Larousse comme la faculté pour un membre d’un Groupe partant d’un état initial d’impulser une DIRECTION, une FORCE et une VITESSE pour atteindre un état final

 

Il était un petit navire…

À mon niveau plus modeste que le Larousse, la meilleure explication du leadership est celle que j’ai tiré d’une simple blague que presque tout le monde connait sans peut-être avoir établi pour soi un parallèle avec le sujet.

En version courte la blague raconte l’histoire d’un équipage de 10 personnes sur un petit bateau au milieu d’une énorme tempête. Le Capitaine déclare « nous devons absolument alléger le bateau sinon nous allons chavirer, il faut que l’un d’entre nous saute à la mer jusqu’à la fin de l’orage. Mais comme c’est au péril de sa vie, je ne l’impose à personne, je demande un volontaire ». Après quelques instants d’un lourd silence, plouf, quelqu’un a sauté dans l’eau ! Puis des heures de bataille contre les éléments déchainés, la tempête s’achève et au prix de grandes recherches et beaucoup d’efforts on repêche le matelot gorgé d’eau, tuméfié et à moitié-mort. Tout l’équipage, saluant son courage, hurle de joie, le félicite et le proclame héros de cette aventure. Et le matelot répond à mi-voix « merci, merci mes amis, merci beaucoup mais dites-moi, qui m’a poussé ? »

C’est longtemps plus tard que cette blague m’est apparue comme la meilleure illustration de ce qu’est le leadership en entreprise. Il n’y a pas un leader dans cette histoire hilarante, il y en a trois

Vous pourrez lire la suite de cet article dans notre prochaine publication bimensuelle.

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Jean-François SENE

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